Dossier - Entraîneurs des gardiennes de buts en D1

Zoom sur ce poste au combien important dans un staff technique avec Cyrille Clavel (Saint-Etienne), Bertrand Falcou (Toulouse), Jérôme Delangle (Issy-les-Moulineaux), José Da Silva (Paris Saint-Germain), et Patrick Fontyne (Juvisy).



Ils s'appellent Cyrille Clavel, Yoann Vivier, Bertrand Falcou, José Da Silva, ou encore Patrick Fontyne ... Ils font tous partie intégrante des différents staffs dans les équipes du championnat de D1 Féminine. Leurs fonctions ? Coacher, entraîner, et former au quotidien leurs gardiennes de buts de façon à ce qu'elles soient les plus performantes possible chaque week-end en championnat. Comment se déroule un entraînement spécifique pour une gardienne ? Sur quoi insistent-ils le plus avec leurs joueuses ? Quels regards portent-ils sur le niveau global actuel des gardiennes de D1 ? Eléments de réponse avec les différents entraîneurs des gardiennes de buts du championnat de France.

Racontez-nous un entraînement-type pour vos gardiennes de buts (exercices mis en place, nombre d’entraînements spécifiques et non-spécifiques chaque semaine, …) ?
Cyrille Clavel (ASSE) : On commence toujours par l’échauffement, comprenant le jeu aux pieds avec tout ce qui est aspects techniques. C’est la première mise en activité de l’entraînement, on essaye de dissocier au maximum les échauffements du haut et du bas. On adapte nos exercices selon la thématique que l’on a décidé de mettre en place lors de l’entraînement. A Saint-Etienne, il faut savoir que le groupe D1 s’entraîne quatre fois par semaine, avec deux entraînements spécifiques pour les gardiennes de buts.
Bertrand Falcou (Toulouse) : On commence par des petits entraînements individuels à base de courses, d’assouplissements, avec une mise en mouvements. Il y a ensuite un temps d’échauffement libre avec le ballon, suivi d’exercices de prises de balles pour continuer l’échauffement. On met en place une sorte de petit circuit avec des cones et thèmes variés, alternance de prises de balle, de jeu vers l’avant, vers l’arrière, de relances courtes et longues … Lorsqu’on passe au sol, on commence à mettre des ballons à droite, à gauche, tout en variant les trajectoires pour se mettre, au mieux, dans toutes les situations possibles qui peuvent nous attendre en matchs le week-end. En fonction de ce que je veux travailler pendant la séance, on met en place différents exercices techniques, de vivacité, de puissance, ou de jeu aérien. J’ai la particularité d’essayer de faire le lien entre le début et la fin de l’entraînement, c’est-à-dire de mettre en application dans des phases de jeu, les différents exercices travaillés pendant la séance.

J'ai la particularité d'intégrer mes filles avec des garçons aux entraînements

Jérôme Delangle (Issy) : J’ai la particularité d’intégrer mes filles avec des garçons pour les entraînements. Cette sorte d’émulsion entre les garçons et les filles m’a paru vraiment très intéressante à développer. J’insiste sur la rivalité, élément important à ce poste. Nous sommes deux éducateurs, et nous nous entraînons avec l’équipe sénior masculine du FC Saint-Cloud. Nous entraînons en même temps huit gardiens et gardiennes de buts, il faut être véritablement bien coordonné de façon à ce que les séances soient intenses et qu’il n’y ait pas trop de temps de battement entre les différents exercices que nous proposons. Faire s’entraîner en même temps des filles et des garçons est un concept novateur et intéressant, selon moi, il y a une sorte d’alchimie qui se crée et les filles veulent démontrer leurs capacités, ce dont elles sont capables, ce qui les poussent à se surpasser lors des séances d’entraînements. Cela permet à la fois un travail sérieux et appliqué. Travailler avec des garçons permet à mes filles de prendre de l’assurance, de la confiance, et de tout donner pour rivaliser. C’est formidable ! Je voulais fédérer ce rôle, car pour moi, c’est un seul et même poste, que l’on soit gardien ou gardienne de buts, à partir du moment où on enfile une paire de gants, on est gardien de buts. Pour l’heure, les choses marchent plutôt bien, j’en suis très satisfait.
Patrick Fontyne (Juvisy) : Il y a toujours la première phase du « comment ça va ?». On commence l’entraînement en faisant un tour du terrain, en se disant bonjour avec un ballon dans les mains. C’est important, car elles ou moi pouvons, à ce moment-là, dire «J’ai eu une journée difficile … Je ne suis pas très bien …». On poursuit par une phase d’échauffement individuel où je leur laisse le choix des exercices d’étirements, d’assouplissements. Je ne m’en mêle jamais, car j’estime qu’elles ont aujourd’hui assez d’expérience pour gérer cela par elles-mêmes. Il y a un quart d’heure d’échauffement, avant que je les récupère pour mettre en place un petit jeu de jonglage par deux ou par trois. On continue en effectuant un travail au sol, des placements latéraux, centraux, des prises de balle … Tout ce qu’il y a de plus classique ! Il y a en fait deux parties durant mes séances d’entraînement. Une première partie qui insiste sur la répétition des gammes, je les ai évalué en début de saison, nous avons mis en place un système de notation allant de 1 à 5 (5 étant la note maximale) sur chaque critère, chaque geste. Pour exemple, une fille qui va avoir 5/5 en balles aériennes, et bien je ne vais pas mettre en place une séance de deux heures sur les balles aériennes. J’adapte la répétition des gestes de base au niveau qu’elles ont chacune. Il y a en tout une quinzaine de gestes constituant la gamme d’une gardienne de buts, du plongeon au sol au plongeon aérien, de la prise de balle en avançant, au plongeon arrière … Et à partir de tous ces critères, elles savent toutes où elles en sont grâce au système de notation. Au début, avec elles, j’ai fait un travail écrit que j’ai appelé «les incontournables», en début de saison, au mois d’août, où je les ai évaluées sur une quinzaine de critères. Tous les trois mois, on regarde la progression de la joueuse afin de voir si elle a fait des progrès ou non dans tel ou tel domaine de jeu». On a installé un panneau au centre du terrain sur lequel on peut lire « 0 faute ». C’est-à-dire que, dès qu’une gardienne va manquer un geste, une prise de balle aérienne, une relance … Elle doit aller, en petite foulée, contourner ce panneau et revenir aux cages. C’est une sorte de gage. Cela permet l’excellence

«Nous avons mis en place un système de notation»

Sur quoi insistez-vous le plus aux entraînements avec vos gardiennes ?
José Da Silva (PSG) : « J’insiste beaucoup sur le jeu au pied avec mes joueuses, parce qu’on s’aperçoit sur les statistiques que les gardiennes touchent de plus en plus le ballon avec les pieds, c’est vraiment très important pour les relances longues ou rapides, ça fait souvent la différence ».

Cyrille Clavel (ASSE) : « Je travaille énormément sur le mental et le travail technique, j’insiste beaucoup car j’aime avoir des joueuses qui ont confiance dans leurs prises de balles, dans leurs déplacements. Le plus gros travail, c’est la répétition de gestes, pour arriver à être le plus précis possible en situations de matchs ».

Bertrand Falcou (Toulouse) : « J’insiste beaucoup sur tout ce qui est agressivité et explosivité, et sur la communication. Je veux qu’elle parle avec leurs coéquipières, ce sont les patronnes de la défense, elles doivent à tous prix s’exprimer. J’essaye d’insister également sur la poussée, et donc le fait de ne pas se laisser tomber au sol. L’engagement est primordial pour une gardienne de buts ».

Jérôme Delangle (Issy-les-Moulineaux) : « J’insiste sur la prise de balle, sur le fait qu’elles ne montrent pas d’hésitation dans les interventions (aériennes ou au sol). Pour moi, il faut absolument que mes gardiennes soient des leaders, j’essaie de les faire sortir d’une certaine timidité. Savoir bien juger les trajectoires de balle, se déplacer rapidement pour intervenir au bon moment, sont également des facteurs importants. A travers tout cela, il y a un gros mental à développer et à travailler, c’est un élément primordial. Pour parvenir à développer cet aspect, je m’efforce de leurs répéter qu’elles sont capables, qu’elles ont les capacités, que si elles m’écoutent, elles y arriveront forcément. Je me mets beaucoup en avant avec mes joueuses, car je suis sans cesse confronté à des « Non, ce n’est pas possible, je n’y arriverai pas » … Alors que si, ça l’est ! Je fournis un gros travail pour les mettre en confiance, qu’elles assimilent bien ma méthode et que les choses aillent pour le mieux ».

Patrick Fontyne (Juvisy) : « Avant chaque gros match, je vais étudier l’attaque adverse à la vidéo. Par exemple, lorsque nous jouons contre Lyon, je vais regarder les gestes et le positionnement sur le terrain de Lotta Schelin, d’Elodie Thomis. On adapte, quinze jours avant ces grands rendez-vous, les exercices selon le type d’attaquantes que l’on va rencontrer le week-end. Je sais comment travailler le face-à-face avec Schelin, par exemple, donc on va essayer d’insister un maximum là-dessus ». 

Quelles sont, selon-vous, les aptitudes et caractéristiques nécessaires que doit avoir une joueuse pour être une bonne gardienne ?

José Da Silva (PSG) : « Avoir un très bon jeu aux pieds, c’est primordial. On constate que les gardiennes de notre championnat ont beaucoup de mal avec les relances, qui ne vont même pas au-delà de la moitié du terrain dans la plupart des cas. La lecture des trajectoires aériennes est également un atout à ne pas négliger, car on s’aperçoit que les filles ont du mal dans ce domaine. Je pense qu’elles ont du mal dans la poussée de balle et la lecture des trajectoires. Elles ont des qualités physiques moins développées que les hommes, certes, mais dans tous les autres domaines (plongeons, prises de balle), elles rivalisent largement. L’aspect psychologique est également très important pour une gardienne, il faut vraiment insister et travailler là-dessus (par exemple se remettre en question, repartir rapidement après une défaite)».

« Un niveau en gros progrès »

En temps que spécialiste du poste, quel regard portez-vous sur le niveau actuel global des gardiennes de buts en D1 Féminine ?

José Da Silva (PSG) : « On ne va pas se le cacher : en général, il est quand même assez faible. On sent qu’il y a vraiment du travail, notamment dans la poussée de balle et la lecture de certaines trajectoires ».

Cyrille Clavel (ASSE): « C’est toujours difficile de porter un regard sur un niveau global. Pour moi, à Paris, Lyon, Montpellier, ou même Méline chez nous à Saint-Etienne, ce sont de bonnes gardiennes. Il y a un très bon niveau en France, et un vrai potentiel à exploiter. Je ne peux pas juger celle de Guingamp car je ne la connais pas, mais je peux vous dire qu’il y a vraiment cinq bonnes gardiennes en D1 aujourd’hui ».

Bertrand Falcou (Toulouse) : « Au début, j’entrainais une équipe de garçons au TFC, cela fait seulement quelques temps que je coache des filles, donc j’ai vu un peu les différentes aptitudes dans les deux cas. En fait, on a encore un peu trop de filles qui se laissent tomber au sol, plutôt que des gardiennes qui poussent réellement pour aller au sol. On a des filles qui ne mettent peut-être pas encore assez d’engagement et d’agressivité dans leurs duels. Il faut vraiment qu’elles travaillent là-dessus et également dans le jeu aux pieds ».

Jérôme Delangle (Issy-les-Moulineaux) : « Je vais être très clair avec vous, j’ai des yeux tout neufs ! Cela fait très longtemps que je joue au football, que j’entraîne des garçons, et j’avais besoin d’un nouveau challenge, d’un nouveau défi. J’avais besoin de savoir si mes méthodes allaient fonctionner avec un groupe féminin. En regardant l’équipe de France et le championnat de D1, j’ai été agréablement surpris par la qualité du jeu proposé, par le touché de balles, c’est un jeu fluide, avec de beaux gestes, c’est très élégant. Le football féminin se développe énormément ces derniers temps, c’est très valorisant et je trouve ça bien. La première fois que je suis venu voir un entraînement à Issy, j’ai été agréablement surpris, car les filles développent réellement du très beau jeu ».

Patrick Fontyne (Juvisy) : « Le niveau des gardiennes de D1 est en gros progrès. J’ai commencé il y a quatre ans à Juvisy, les gardiennes étaient plutôt faibles et fragiles dans beaucoup de domaines. Je constate énormément de progrès, notamment chez les jeunes gardiennes. Par exemple, j’ai vu une jeune fille qui joue à Rodez, une autre à Guingamp, Saint-Etienne, et une à Toulouse. Toutes ces jeunes de 18, 19, ou même 20 ans, sont en très nette progression, il faut bien le souligner. A leurs âges respectifs, elles sont, pour moi, vraiment très fortes techniquement ».


Ce qu’ils disent de leurs joueuses …

La Parisienne Véronique Pons
José Da Silva (PSG - Véronique Pons, Karima Benameur) : A l’heure actuelle, il n’y a plus de hiérarchie au niveau de nos gardiennes à Paris, c’est-à-dire qu’il n’y a plus de numéro une, et de numéro deux. Karima était initialement prévue pour disputer tous les matchs de coupe de France mais maintenant, on ne fait plus de distinctions entre elle et Véronique. C’est la concurrence qui s’est installée dans notre effectif. Jusqu’à la semaine dernière, j’avais encore à ma disposition trois gardiennes, mais Bérengère Sapowicz vient d’arrêter définitivement. Véronique Pons et Karima Benameur ont toutes les deux des qualités différentes, mais je peux vous dire qu’elles sont très fortes, que ce soit l’une ou l’autre. J’en suis vraiment très satisfait. Véro sera plus forte dans le domaine aérien, Karima meilleure sur sa ligne de buts et dans l’explosivité. Véro aura un très bon jeu aux pieds sur les longues relances, pendant que Karima sera très performante sur les réflexes et frappes courtes. Elles ont toutes les deux des qualités différentes, mais qui ce complètent, c’est ce qui est vraiment très bien. Elles ont un excellent mental, et une volonté de toujours vouloir travailler et progresser que je trouve assez impressionnante ».

Cyrille Clavel (ASSE - Méline Gérard) : « C’est une très grosse travailleuse dans l’âme ! Elle a de grandes qualités, même si elle doit encore travailler son jeu aux pieds. Je n’aime pas bien employer les expressions « points forts » et « points faibles ». Je dirai que tous les aspects sont à travailler. Il n’y a qu’en bossant qu’on arrivera à s’améliorer et à être performants ».

«Elle est promise à une grande carrière »

Jérôme Delangle (Issy-les-Moulineaux – Pauline Benoist, Katherine Linn) : "Effectivement, Pauline est la gardienne titulaire alignée avec le groupe D1, mais il faut également savoir qu’il y a une autre portière arrivée de Montpellier, qui est une très bonne joueuse, qui s’appelle Katherine Linn. Elles sont très complémentaires toutes les deux. C’est un réel plaisir de travailler avec elles, car elles sont très solidaires, transparente l’une de l’autre, et font vraiment un bon boulot. Pauline a un caractère fort, pas toujours évident à gérer. Elle ne va pas toujours parler, s’exprimer lors de ses sorties. C’est un point qui est, pour moi, encore à travailler. Il y a aussi certaines prises de balles qui lui échappent, dues sans doute à certains mauvais déplacements. Elle est capable de faire de très belles choses, de réaliser d’excellentes performances, c’est une gardienne qui a de l’envergure. Quand elle arrive à pousser correctement pour aller au sol, elle est capable d’aller chercher des ballons très difficiles à prendre. C’est une gardienne surprenante, car à des moments où un ballon est extrêmement compliqué à négocier et quasiment inarrêtable, elle va réussir le bel arrêt, alors que sur un ballon anodin, elle va peut-être prendre le but. J’aimerais plus de régularité chez elle, car je suis convaincu de son talent et de ses capacités ».
 
Bertrand Falcou (Toulouse – Déborah Garcia) : « Elle a un bon jeu aux pieds, avec une bonne puissance. Elle est également très forte sur sa ligne, capable de faire des arrêts réflexes intéressants. Je pense qu’elle a de bons atouts, il faut qu’elle travaille encore un peu son jeu aérien. Déborah commence à prendre de l’assurance, c’est positif. Par rapport à son niveau de jeu, je pense qu’elle manque cruellement d’ambitions, car elle a vraiment un potentiel très intéressant. C’est une joueuse qui peut, selon moi, devenir une excellente gardienne de D1. Si elle continue à accepter les efforts et les exercices qu’on lui propose au quotidien, elle ira loin ».

Patrick Fontyne (Juvisy - Iryna Zvarich, Tanya de Sousa, Marion Mancion) : « J’entraîne trois gardiennes de buts. Tanya de Sousa, jeune portière de 19 ans, bourrée de qualités et qui, selon moi, sera une très bonne gardienne dans les deux ans à venir, si elle continue comme ça. Marion Mancion, 22 ans, qui vient d’Hénin-Beaumont, très costaude, mais qui peinera pour l’heure à trouver une place de titulaire dans le groupe D1. Elle n’a pas encore revêtu l’habit d’une gardienne professionnelle. Iryna Zvarich, 22 ans également, dotée d’un fort bagage, je suis très satisfait d’elle, qui possède notamment un éventail très bon. Je l’avais recrutée sur des critères bien précis, notamment le fait qu’elle devait avoir un jeu aux pieds de très bonne qualité. Je me rends compte, finalement, qu’elle a énormément de qualités, mais que son jeu aux pieds est plutôt faible. C’est une gardienne très élégante, technique, aérienne. Sur sa ligne, je pense qu’elle est du niveau des meilleures gardiennes de France. Sur sa ligne de buts, elle n’a rien à envier à Sarah Bouhaddi, par exemple, et je la mettrai facilement dans les trois meilleures gardiennes de D1 à l’heure actuelle ».



Réalisé par Benjamin Roux

Mardi 2 Avril 2013
Benjamin Roux