Fernand Duchaussoy : "On peut aussi réussir dans le football sans devenir professionnel…"

Président de la Ligue Fédérale du Football Amateur depuis janvier 2005, Fernand Duchaussoy est peut-être le futur président de la FFF. A l'échéance de son mandat, en 2012, il ne serait pas illogique de le voir succéder… à son ami Jean-Pierre Escalettes, son prédécesseur à la tête du foot amateur !
Pour améliorer l'image dégradée de notre football, pour en refaire un sport éducatif et porteur de valeurs fortes, pour aller au-delà des excès du foot pro, l'expérience et l'entregent de cet homme de 67 ans ne serait pas de trop. En attendant, les dossiers ne manquent pas à la LFA. Pour tous les sites Footengo de France, l'ancien président de la Ligue Nord Pas de Calais fait un état des lieux sans concession du football d'en bas. Notre football. (par Jean-Louis Bouffartigues)



Fernand Duchaussoy, président de la Ligue de Football Amateur (Crédit photo fff.fr)...
Après avoir été président de la Ligue Nord Pas de Calais, vous êtes président de la LFA depuis 2005, quelles sont exactement vos attributions ?
Le foot amateur, c'est beaucoup de licenciés, de clubs, de contacts, de déplacements dans les Ligues, dans les Districts, des compétitions nationales seniors et jeunes, l'Outre Mer, le beach soccer, la modernisation, une réflexion permanente sur les politiques à mettre en œuvre pour enrayer la relative baisses des licenciés, pour lutter contre les incivilités, pour travailler avec le milieu scolaire, pour s'occuper du Fonds d'Aide au Foot Amateur… Je ne suis jamais chez moi, toujours dans un TGV, un avion ou en voiture !
Votre mandat expire en 2012, en solliciterez-vous un autre sachant que celui que vous avez remplacé, Jean-Pierre Escalettes, arrive aussi en fin de cycle ? Envisagez-vous de lui succéder ?
Cette perspective n'est pas d'actualité. Compte tenu de nos emplois du temps, de la vie qu'on mène, trois ans, c'est très long. Nos fonctions sont passionnantes mais tellement lourdes à assumer qu'elles ne nous laissent pas le temps de nous projeter aussi loin. En plus, je suis très proche de Jean-Pierre Escalettes. Et si, à 78 ans, il ne se représentera sûrement pas, je peux vous dire que les candidats devraient être nombreux. Ferais-je partie du lot ? Je ne le sais pas car je n'ai pas de plan de carrière. Une chose est sûre, la présidence de la FFF n'a rien à voir avec la fonction que j'occupe depuis cinq ans ne serait-ce parce qu'elle est beaucoup plus exposée médiatiquement.
En ce début 2010 quels sont les grands chantiers actuels qui concernent le foot amateur dans notre pays ?
Il y en a deux. Nous avons lancé depuis un an déjà une grande opération de modernisation de la gestion du foot en aidant nos 17 000 clubs à s'informatiser. Une allocation de 800 euros par site a été allouée pour ça avec, en plus, des modules de formation pour accélérer une opération qui se sera révélée très lourde à mettre en place. En parallèle, nous avions créé un logiciel, Foot Clubs, à travers lequel chaque club peut désormais commander ses licences par Internet, peut avoir accès à la totalité de l'historique de ses joueurs, à tous les dossiers en cours au district ou à la ligue…
La mise en place de ce passage à l'informatique a parfois été difficile à gérer dans certains clubs ?
Oui, évidemment et c'est normal. De toute façon, ce passage était indispensable. Dans l'ensemble, les retours ont tout de même été positifs. Je profite d'ailleurs de votre intermédiaire pour rendre hommage à tous les districts et toutes les ligues de France qui ont beaucoup travaillé. J'ai pas mal bourlingué dans tout le territoire et j'ai pu me rendre compte que même en agissant dans l'urgence le travail avait été plutôt bien fait. Pourtant, au départ, je vous avoue que j'avais l'intention de décaler d'une année cette mise en place avant de me ranger à l'avis de mes collaborateurs. Je ne le regrette pas car on s'en est bien sorti. Mais nous n'en sommes encore qu'au milieu du gué.

"Plus que la baisse des licenciés, notre vraie crainte concerne la baisse des bénévoles."

(Crédit photo fff.fr)
Pourquoi ?
Parce que nous souhaitons informatiser aussi le certificat médical et la photo de chaque licencié pour éviter tous les litiges liés à leur absence sur les licences surtout en début de saison. Ainsi, il n'y aura plus de délai de qualification pour un joueur à partir du moment où la Ligue aura édité sa licence. On espère finaliser ce dossier dans les deux prochaines années.
Avec cette informatisation généralisée quel est le second dossier prioritaire ?
La réforme des compétitions de jeunes. Nous les avons adaptées aux rythmes scolaires pour faire en sorte que le foot réduit se pratique pendant toutes les années primaires et lors des deux premières années de collège. Désormais, la licence est attachée à l'âge du jeune joueur et non plus à la compétition qu'il pratique. C'est plus simple. On sait maintenant qu'un U11 aura forcément 11 ans en 2010. Le 6 mars prochain, lors de la prochaine Assemblée Générale de la LFFA, nous ferons le point un an après la mise en place de cette réforme. Nous accorderons également une plus grande liberté aux districts de gérer comme ils l'entendent la catégorie des U19. Selon l'ampleur de leurs effectifs, chaque district pourra décider d'accorder deux ou trois ans à cette catégorie d'âge. Enfin, nous proposerons de rétablir l'autorisation de leur club pour les jeunes qui souhaitent le quitter en dehors des périodes habituelles de mutation. Cette saison, les clubs étaient avertis d'une demande de mutation et avaient quatre jours pour s'y opposer éventuellement… Cette mesure n'ayant pas été bien comprise, on va revenir à l'autorisation préalable et donner une plus grande liberté aux Ligues de gérer comme elles l'entendent ces dossiers.
Vous parliez tout à l'heure de baisse des licenciés, où en est-on exactement ?
Nous en saurons un peu plus en mai prochain mais il faut s'attendre à une légère baisse mécanique liée à la modernisation que j'évoquais plus haut. Auparavant, on inondait les clubs de licences en attendant leur retour. Beaucoup de clubs en gardaient quelques unes parce qu'ils espéraient attirer encore des joueurs au-delà de la date de remboursement. Donc, pendant longtemps, les chiffres des licenciés ont certainement été un peu gonflés par cette pratique. On revient peut-être simplement à des estimations qui reflètent davantage la réalité. On est aussi dépendant des résultats de l'équipe de France. En 2006, après la Coupe du monde, on a accueilli 300 000 nouveaux licenciés, comme en 1998… avec le même problème de tassement deux ou trois ans après. Plus que la baisse des licenciés, notre vraie crainte concerne la baisse des bénévoles.

"A l'école primaire, un gamin sur quatre est licencié dans un club de foot. C'est énorme !"

Le football serait-il en train de devenir moins populaire ?
Non, car il faut savoir qu'à l'école primaire un gamin sur quatre est licencié dans un club de foot. C'est énorme ! Ce chiffre nous donne évidemment beaucoup de responsabilités au niveau social et nous ramène à notre vocation qui est moins d'augmenter sans cesse le nombre de pratiquants que de bien s'occuper de ceux qui sont déjà là. Cette baisse des licenciés sert surtout ceux qui n'aiment pas le foot qui s'en servent pour alimenter leur fonds de commerce. On constate ainsi que la presse préfère toujours relayer les choses négatives que tout ce que nous faisons de positif. L'an dernier, j'étais à St-Jean de Monts à l'occasion d'un grand rassemblement de 5 000 jeunes joueurs de tout âge, de toutes catégories ou origines avec 25 000 spectateurs… sans qu'il y ait une ligne dans la presse le lendemain. On organise des millions de matchs tous les ans qui se passent bien dans 99% des cas. Certains médias ne parleront forcément que des 1% qui posent problème. Or, le foot est partout, dans des quartiers où même la police ne va plus, dans des petits villages où le match du dimanche après midi est la seule activité du week-end. Mais ça, il y a longtemps que les médias ne s'y intéressent plus. Ils préfèrent disserter à longueur de journée sur un hors jeu oublié !
Les médias sont une chose qui ont effectivement tendance à se complaire dans la polémique mais l'image renvoyée par le football professionnel en général, l'équipe de France en particulier, vous paraît-elle satisfaisante ? Quand on voit leurs rythmes de vie, leurs salaires, leur peu de contacts avec la réalité des clubs, les Bleus représentent-ils vraiment le football de base ?
L'équipe de France n'appartient pas aux professionnels mais à la FFF, c'est inscrit dans la loi. La LFP n'a qu'une délégation de pouvoir. Aucune nation au monde n'a confié son équipe nationale à des structures privées. Les Bleus sont allés à Guingamp l'an dernier et 10 000 personnes sont venues assister aux entraînements donc l'engouement existe toujours. Qu'il faille s'ouvrir davantage au monde amateur, je suis d'accord. Mais encore une fois l'image de l'équipe de France est brouillée par le reflet qu'en donnent les médias. Vous savez, j'ai un petit fils qui joue au foot et sa chambre est remplie de posters de Ribéry et d'Henry. La magie opère encore.

"Il faut quand même rappeler qu'en vertu de la convention que nous avons signée avec le foot pro, le football amateur touche 21 millions d'euros par an."

Lors de son passage dans la ligue Rhône-Alpes, au mois d'octobre pour la journée de l'arbitrage...
Au-delà des Bleus, le fossé n'est-il pas devenu trop large entre le foot pro et le foot amateur ?
Il faut quand même rappeler qu'en vertu de la convention que nous avons signée avec le foot pro (qui se termine en juin 2010 : ndlr), le football amateur touche 21 millions d'euros par an. Cet argent permet de moderniser les installations sportives. Depuis 2003, nous avons ainsi distribué 90 millions d'euros pour améliorer les conditions matérielles du football amateur. Nous avons embauché 101 CTD pour encadrer les plus jeunes dans les districts. Les districts et les ligues ont touché 6 millions d'euros pour développer leurs actions. Pour le reste, le relationnel entre les clubs pros et les clubs amateurs, c'est un problème humain. Lorsque j'étais président de Ligue, j'avais de bonnes relations avec le président du club professionnel de la région et on faisait beaucoup de choses ensemble. Généralement, si les joueurs ne sont désormais que de passage dans les clubs et peu concernés par le football de base, les président, eux, sont plutôt ouverts.
Avec les sélections et les détections dès le plus jeune âge, le système actuel est quand même fait pour les clubs pros, pour qu'ils ne risquent pas de passer à côté d'un Zidane ou d'un Henry. Ne pensez-vous pas que cet élitisme précoce va à l'encontre de certaines valeurs éducatives dont se prévalait le football mais qui ne correspondent plus à l'image qu'il renvoie dans notre société ?
Les premières sélections s'effectuent en U13. Auparavant, il y a quand même 700 000 gosses qui jouent sans pression du résultats ou du classement, sans autre perspective que de s'amuser. On interdit la "championnite" au moins jusqu'au passage du foot à onze. Ensuite, il me paraît quand même important d'inculquer l'esprit de compétition à nos enfants. Je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que notre système de sélection et de détection est fait pour les clubs pros mais c'est aussi une chance donnée à des gamins de réaliser leur rêve. On considère aussi qu'en améliorant la qualité technique de tous, on tend vers davantage de plaisir en jouant au football. Et il n'y a pas de honte à considérer que des futurs pros font partie du lot.
Sur plus d'un million de jeunes pratiquants, une dizaine, voire une centaine à peine parviendront à passer pro un jour. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? Le football peut-il prendre le risque de perdre son âme uniquement pour favoriser la progression de quelques cas particuliers ?
Tout passe par la formation et l'information. Aujourd'hui, même s'il y a des exceptions, un gamin qui ne passe pas par un centre de préformation a peu de chances de devenir pro. Or, je suis bien placé pour savoir que dans ces structures on insiste davantage sur l'aspect scolaire que sur l'aspect sportif. Les dérives concernent tous ceux qui font miroiter des choses aux gamins sans les prévenir des dangers. Et puis on peut aussi réussir dans le football sans forcément devenir professionnel dans des clubs de National, CFA ou DH qui vous aideront à concrétiser vos projets professionnels. Avec mon fils, j'en ai un exemple dans ma famille… Notre boulot est de toujours privilégier la scolarité tout en amenant les jeunes joueurs à tout faire pour continuer à progresser au football. C'est un travail pédagogique et psychologique important à réaliser que beaucoup d'éducateurs font mais que, malheureusement, tous les parents ne font pas, attirés qu'ils sont par les perspectives financières.
Dans certaines régions de France, le sud ouest notamment, le rugby a depuis longtemps supplanté le football dans sa dimension pédagogique. Ne devrait-on pas s'inspirer de son approche plus ludique ?
J'ai joué au rugby, c'est un sport que j'aime bien mais qui ne brasse pas les mêmes sommes que le football. Il est devenu professionnel mais si un jour il était en proie aux mêmes transferts faramineux, il sera de la même manière pollué à sa base. Les "antifoot" disent que ce sommes sont scandaleuses, ils n'ont pas tort, mais le foot ce n'est pas ça. Parler des transferts et des salaires de quelques stars c'est comme parler des gens qui gagnent au loto. La proportion entre les gens qui jouent et ceux qui gagne est à peu près la même, infime. Tout le monde joue quand même…

Propos recueillis par Jean-Louis Bouffartigues

Fernand Duchaussoy digest
Né le 30 décembre 1942 à Senonches (Eure-et-Loir)
Président de la LFA et vice-président de la FFF depuis janvier 2005.
Vice-président du CNOSF depuis juin 2009.
Parcours : Président de l'AS Rang de Flier (1981-88), Président du district Côte d'Opale (1992-97), Président de la Ligue Nord Pas de Calais (1997-2005).

Jeudi 25 Février 2010
Sébastien Duret