Interview Camille ABILY : "On ne nous apprend pas à être des tueuses"

Retrouvez la Lyonnaise Camille Abily (163 sélections) qui fait le point sur la sélection, le club et les prochaines échéances, son avenir et les autres sujets du moment dans ce long entretien



Camille était titulaire face à la Roumanie et l'Ukraine (photo A Mesa/FFF)
Avec le recul, qu'avez-vous pensé de votre parcours lors de la SheBelieves Cup (2 défaites et 1 nul) ?
C'était face à de grosses équipes. C'était surtout le contenu qui était intéressant, parce que si le résultat est important, cela était une tournée avec des matchs amicaux. Il faut se remettre dans le contexte, on était l'équipe qui pouvait être le moins bien physiquement. On était la seule équipe à être en pleine saison, les Allemandes ont eu un mois de vacances pendant la trêve, alors que les Anglaises et les Américaines sont en pleine bourre puisque c'est le début de leur saison.
Par rapport à cela, je pense que l'on s'en est pas trop mal tiré dans le contenu. Après au niveau des résultats, c'est décevant. On aurait aimé accrocher les Etats-Unis et l'Allemagne, surtout par rapport à ce que l'on a vu. On a eu un bilan offensif négatif parce que l'on n'a pas réussi à marquer face à ces équipes. Il y a encore beaucoup de travail.

Est-ce un mal français que de ne pas concrétiser ces actions ?
Les Françaises, dès le plus jeune âge, on ne nous apprend pas à être des tueuses devant le but. Si je prends l'exemple d'Ada (Hegerberg) que je connais très bien et qui est une super joueuse, en qualité pure technique, Eugénie (Le Sommer) est meilleure mais par contre Ada a cet état d'esprit : le but, le but ! Eugénie, elle a été formée à plusieurs postes, elle peut jouer plus bas, sur le côté, on ne l'a pas formé dès le plus jeune âge à être une buteuse. Je pense que c'est ça qui nous manque. On n'a pas été habituée dès le plus jeune âge. Donc il faut y remédier rapidement parce que les Jeux, ça arrive. Mais on a des filles qui sont capables de marquer. L'année dernière, Eugénie nous a fait une saison de malade. Marie-Laure, par rapport à son temps de jeu, marque énormément. Nous sommes capables de marquer mais ce n'est pas qu'une question de confiance. Cela vient aussi des milieux de terrain, des latérales qui doivent apporter le surplus aussi, car lorsque l'on est face à quatre, cinq défenseurs, qu'est ce que l'on peut leur demander... c'est trop difficile toute seule.

"Les équipes sont de mieux en mieux organisées"

Buteuse face à l'Ukraine
Est-ce que ces qualifications pour l'Euro 2016 auront été une formalité ?
C'est vrai que l'on a tout gagné mais on a pu voir que les autres nations ont beaucoup progressé. Le football féminin en général progresse avec des équipes de mieux en mieux organisées. Cela nous met rarement en difficulté, il faut être réaliste mais par contre, on se retrouve face à des blocs défensifs très bas et des équipes qui physiquement tiennent tout le match, alors qu'avant, elles tenaient une mi-temps avant de craquer et d'enfiler les buts. On sent que c'est de plus en plus difficile de jouer face à ces équipes-là et que si l'on n'est pas bien préparé, on peut être en difficulté pour marquer des buts.

Le fait de jouer des équipes regroupées, est-ce un handicap pour préparer les grandes compétitions face à des adversaires plus relevés ?
Heureusement, il y a les tournées parce que lorsque l'on joue contre des équipes qui ne sortent pas avec des blocs bas, ce n'est pas le genre d'adversaires que l'on va retrouver aux JO. En général, ce sont des équipes qui jouent, où il y a la volonté de marquer. Ce n'est pas évident même si cela nous permet de travailler un autre registre.

Votre saison en club est encore bien chargée avec dès dimanche la demi-finale de Coupe de France.
Ce sont les matchs les plus intéressants qui vont arriver. Que ce soit en club ou en sélection, je pense que l'on a été bien géré physiquement. L'avantage, c'est qu'avant les Jeux, on aura des vacances et une préparation entière. Ce sera différent de la Coupe du Monde où l'on avait enchaîné. Là, on est focalisé sur le club. Cela s'annonce très intense et j'espère que nous, les Lyonnaises, on sera en forme pour faire une très belle fin de saison.

Coupe de France face à Rodez, Ligue des Champions face au PSG, il n'y a pas de droit à l'erreur...
Les matchs couperets, ce sont ces matchs-là que l'on aime. On joue au football, vraiment pour ça. Le football français peut être content, il y aura une équipe française en finale. Même si j'aurai préféré jouer une équipe allemande, car avec Paris, on se connaît bien. Après c'est mieux que la saison dernière, où on s'était rencontré dès les huitièmes, cette fois-ci c'est en demi-finale, on ne va pas s'en plaindre non plus. Cela sera un beau choc. On aura la chance de jouer au Parc OL, j'espère que le résultat sera positif.

"Un mal pour un bien"

La volée d'Abily face à Albi
Les matchs vont s'enchaîner encore, or on constate que beaucoup d'internationales ont été blessées au cours de la saison, est-ce le contre-coup de la Coupe du Monde ?
Je crois les doigts, je n'ai pas encore la mienne. Je suis persuadée pour en avoir discuté aussi avec les Allemandes, les Suédoises ou les Américaines, il y a beaucoup plus de blessées après cette Coupe du Monde sur synthétique. Sur le coup, il n'y a pas forcément eu d'impacts. Mais c'est beaucoup plus traumatisant pour le corps, et cela s'est vu dans la saison qui a suivi. On n'avait pas le choix mais j'espère que toutes les Françaises seront revenues pour les Jeux.

Ces Jeux sont l'occasion de décrocher une première médaille que l'on attend toujours.
J'ai l'impression de me répéter à chaque compétition, le temps passe, je sais que l'on a une super équipe, on l'a prouvé par le passé. Mais pour l'instant, on a aucun titre, aucune médaille. J'espère que l'on pourra y remédier dès cette année en revenant avec une médaille, j'espère en or. On va tout faire pour, comme chaque compétition. A chaque fois, on dit que cela n'est pas passé loin. Lors de la dernière Coupe du Monde, face à l'Allemagne, on n'a jamais été autant dominateur. On a encore des détails à corriger. Pour revenir sur la tournée aux Etats-Unis, d'avoir eu deux défaites et un nul, c'est peut-être un mal pour un bien. Les gens nous verront peut-être moins favorites et on va pouvoir travailler tranquillement par rapport à l'année dernière où on avait battu tout le monde, et où on nous voyait "championnes du Monde".

"Corinne Diacre a montré qu'une femme pouvait être un bon coach"

Un mot sur le cap des 100 000 licenciées franchi il y a deux mois.
C'est très bien, en plus en 2016, avec l'Euro, c'est un petit clin d'oeil. Ca montre que le football féminin progresse encore. Je me rappelle quand j'ai commencé en sélection en 2001, on en était très loin. Le travail fourni par la FFF et les clubs est fantastique.

La 100 000e licenciée disait qu'elle voulait devenir footballeuse professionnelle mais que le plus important reste les études.
Lorsque j'ai débuté le football, ce n'était pas un rêve d'être footballeuse professionnelle, ce n'était même pas envisageable. Quand je suis arrivée au Pôle à Clairefontaine, mon rêve, c'était l'équipe de France, ce n'était pas du tout d'être pro. Maintenant j'ai la chance d'être pro mais à la base, je souhaitais avant tout jouer en sélection et dans les meilleurs clubs. Ce qui est important pour les nouvelles joueuses, c'est avant tout d'avoir des objectifs de sélection et de clubs, après le reste viendra tout seul. C'est cela que je veux leur dire et si elles sont fortes, elles seront récompensées. Les études restent importantes car même si on a la chance de vivre notre passion, cela ne dure qu'un temps. On n'est pas comme les garçons, on ne peut pas assurer notre avenir qu'avec le foot.

Qu'envisagez-vous justement après votre carrière de joueuse ?
J'ai passé mes diplômes, j'ai eu mon DEF (Diplôme d'Entraîneur de Football), on va voir dans la continuité car après cela devient dur car c'est le Certificat de Formateur ou le DEPF (Diplôme d'Entraîneur Professionnel de Football). Je pense qu'après le football, j'aimerai bien un petit break parce que retourner sur les terrains après 15 ou 16 années au haut niveau, cela serait difficile. Mais j'espère pouvoir faire partager mon expérience.

Etre à la tête d'une sélection, est-ce quelque chose que vous pourriez envisager ?
Oui pourquoi pas, Cécile Locatelli que je connais bien s'occupe des U16, il y a Sandrine Soubeyrand aussi. Je trouve cela bien car ce sont des joueuses qui ont beaucoup de sélections, beaucoup d'expérience. C'est bien aussi d'avoir des femmes coachs, même si que ce soit des femmes ou des hommes, ce qui importe c'est la compétence. C'est bien que le football féminin puisse montrer qu'il peut avoir d'anciennes joueuses qui deviennent de bons entraîneurs. L'Allemagne le fait depuis des années pour ses sélections et ça marche.
Et puis ce que fait Corinne Diacre, avec Clermont, c'est super. Je suis régulièrement les résultats, et cela fait des années que le club n'a pas été aussi bien classé. Elle a montré qu'en étant une femme, elle était capable d'être un bon coach. Ce n'est pas évident, et elle a su le faire. Bravo à elle.

"Je comprends l'envie d'Amandine Henry de voir autre chose"

Que pensez-vous du départ d'Amandine Henry aux Etats-Unis ?
Je comprends cette envie. Alors forcément en tant que joueuse lyonnaise, j'aurai aimé qu'elle reste. Mais je peux comprendre l'envie de voir autre chose, un autre championnat. Je pense aussi à Elise (Bussaglia) qui est partie à Wolfsburg, le championnat en Allemagne comme celui aux Etats-Unis sont beaucoup plus homogènes. Tous les matchs vont être d'une grosse intensité et difficile, ce qui n'est pas le cas encore en France malheureusement. Cela peut lui faire franchir un palier au niveau de son volume de jeu. Il y aura aussi la répétition des efforts mais elle est encore jeune, elle peut progresser dans ce domaine-là.

Cela sera bénéfique pour la sélection aussi...
Oui, après il faudra gérer les décalages horaires et les voyages. On en a discuté, mais un championnat comme là-bas, elle va encore prendre plus confiance en elle. Franchement, cela ne sera que un plus pour l'équipe de France.

La précurseure Marinette Pichon avait déjà en son temps apporté aux Bleues.
Je me rappelle que quand elle avait été aux Etats-Unis, elle avait franchi un palier. Cela pourrait être bénéfique pour nos attaquantes aussi même si je veux qu'Eugénie reste à Lyon (rire), on a besoin d'elle. Mais c'est vrai que là-bas, on a moins d'occasions. En France, on a dix occasions donc on arrive toujours à en mettre une alors que là-bas, ça se joue sur peu de choses, il faut donc arriver à être décisive au moment opportun.


Vendredi 15 Avril 2016
Sebastien Duret