L'entretien VESTIAIRES - Erick MOMBAERTS : "Ne formons pas "le joueur", formons au jeu collectif..."

Avec d'autres techniciens, parmi lesquels Jean-Michel Bénézet, que nous avons interviewé récemment dans le cadre de l'entretien Footengo, Erick Mombaerts fait partie des postulants à la succession de Gérard Houllier au poste de DTN. Depuis son poste de sélectionneur des Espoirs, l'homme qui ramena le TFC en Ligue 1 avec les "Pitchouns" poursuit sa réflexion et ses recherches sur l'évolution du football. Pour le magazine Vestiaires, il s'est notamment penché sur la formation des plus jeunes footballeurs, notamment les plus doués d'entre-eux. L'occasion d'un mea culpa qui doit surtout permettre à tous les éducateurs d'appréhender différemment leur approche de l'éducation par le football. (par Julien Gourbeyre)



Comment définiriez-vous un surdoué en football ?
Vous savez, quand on est dans une ligue, ce qui a été mon cas lorsque j'étais conseiller technique, on entend souvent dire : "celui-là il était doué, s'il avait voulu, etc…". Le problème, c'est qu'avec notre mode de conception des individus, on isole tout le temps les qualités. Du coup, on ne regarde que par le petit bout la lorgnette. Parce qu'il est adroit, on va dire qu'un gamin est doué ! Or, avec les connaissances et l'expérience, on s'aperçoit qu'il y a une multitude de ressources qui jouent en interaction, qui influent les unes sur les autres. Alors affirmer qu'un joueur est surdoué uniquement parce qu'il a une habileté psychomotrice, c'est très réducteur. Certains réussissent avec des qualités qui, au départ, sautent moins aux yeux, mais ils ont autre chose… À commencer par l'intelligence de jeu, qui est pour moi la première des qualités d'un footballeur.

Il peut arriver cependant qu'un garçon affiche cette intelligence de jeu, aditionnée à un certain nombre d'autres qualités. On a affaire alors à un joueur plus doué que la moyenne, qui fait de grosses différences. Comment l'aider à poursuivre sa progression ?
À l'occasion du dernier congré UEFA auquel j'ai assisté avec Laurent Blanc et en compagnie de tous les grands entraîneurs du monde, Lippi, Mourinho..., on a regardé comment s'est construit Iniesta. On a vu des vidéos quand il avait 10 ans, puis 11 ans, puis 12 ans, etc… Et bien si on prend ce modèle qui est celui de l'un des meilleurs joueurs du monde, il y a un mot qui résume tout : éducation.

C'est ce qui ressort de son parcours ?
Complètement. Ce qui lui a permis d'évoluer, c'est sa cellule familiale. Il était très bien entouré. Ainsi, par le biais de l'éducation, il s'est approprié des valeurs, s'est construit un état d'esprit, lequel va lui servir ensuite de base pour développer les autres qualités. On se rend compte aujourd'hui que sans cet état d'esprit, c'est compliqué. Or, c'est ce qui nous fait défaut en France. Et là, c'est uniquement un problème d'éducation. Uniquement.

Un entourage familial qui doit aussi être freiné parfois, pour éviter qu'il n'élève trop vite l'enfant au rang de star !
Tout à fait. L'idée, c'est d'associer très tôt les parents à l'évolution du gamin, à son projet. Or, beaucoup de parents, du moins pour certains, considèrent l'école de foot comme une garderie. D'autres se voient à travers leur enfant, s'identifient. D'autres enfin y voient une tirelire… La cellule familiale ne joue alors plus son rôle… Elle ne va pas permettre au gamin de s'approprier un certain nombre de valeurs, et notamment des valeurs d'ordre collectif. C'est-à-dire transmettre le message suivant : même si on a des qualités, même si on a un peu d'avance, on doit jouer avec et pour les autres.

"Quand Christian Gourcuff a pris Obertan à Lorient, il a eu beaucoup de mal à lui inculquer tout ce qui relevait du domaine du relationnel dans le jeu."

C'est l'individualisme qui guette ?
Oui, on va certes développer un peu de caractéristiques individuelles, mais on va sortir de ce qui fait la force d'un bon joueur : mettre ses qualités d'abord au service du jeu collectif. Et ce, parce qu'on est conforté par le comportement des parents, parfois des éducateurs… Alors je ne dis pas qu'il ne faut pas savoir jouer pour soi quand il faut, mais, encore une fois, il faut aussi savoir jouer avec et pour les autres. L'intelligence de jeu, c'est l'art de savoir composer avec ces trois alternatives.

Outre la tendance à l'individualisme, le joueur très doué ne risque-t-il pas également de se reposer sur ses lauriers et de cesser de travailler ? Comment éviter ça ?
On en revient à l'éducation ! Il faut tout mettre en œuvre pour que l'enfant acquière des valeurs de travail, de respect, qui vont lui permettre ensuite d'avoir le goût de l'effort pour lui et pour les autres. Malheureusement, ce qui se passe souvent dans les petits clubs, c'est que lorsqu'un gamin est au-dessus du lot et parle mal aux arbitres, affiche un mauvais comportement, il reste impuni. Il est protégé. On ferme les yeux parce que c'est le meilleur joueur de l'équipe. En fait, ce garçon est tout simplement victime de représentations à la télé de ce qu'est une star. Il copie, il imite… Il a une fausse image de ce qu'est un bon joueur. Ça, c'est quelque chose que les parents, que les éducateurs, doivent corriger tout de suite.

Avec la volonté également d'éviter tout traitement de faveur vis-à-vis des copains…
Exactement. Être capable de le sanctionner comme les autres. Mettre tout le monde sur un même pied d'égalité. C'est indispensable.

Vous avez évoqué le goût de l'effort. C'est justement ce qui est repproché actuellement à certains jeunes internationaux français, pourtant présentés au départ comme des surdoués...
Il y a quelques bons cas d'école, en effet. Mais nous sommes responsables ! Les méthodes qu'on a utilisées ont conforté le joueur qui avait une bonne psychomotricité de base, qui savait bien manier le ballon, bien dribbler. Du coup, on a entretenu un peu son statut de surdoué pour reprendre votre expression. Le problème, c'est que le foot est un jeu d'enchaînement. Et qui dit enchaînement dit coordination entre partenaires. Il suffit de se représenter un triangle. Il y en a un qui a le ballon, deux qui ne l'ont pas. Dès que je n'ai plus le ballon, je deviens un joueur sans ballon. Ça veut dire quoi ? Qu'il faut savoir se déplacer quand on n'a pas le ballon ! Il faut savoir faire des efforts pour les autres. Or, ce type de joueurs ne jouent que lorsqu'ils ont le ballon.

Hatem Ben Arfa a souvent été critiqué pour ça.
Il n'y a pas que lui. J'ai un autre cas, c'est Gabriel Obertan. Quand Christian Gourcuff l'a pris à Lorient, il a eu beaucoup de mal à lui inculquer tout ce qui relevait du domaine du relationnel dans le jeu. Et là, c'est forcément lié au goût de l'effort. Quand on court uniquement avec le ballon, on occulte une grande partie de ce qu'est un match de football... Bref, derrière il y a quand-même du mental qui se développe ou qui ne se développe pas. On en revient à l'état d'esprit, etc… La boucle est bouclée.

Pourquoi dites-vous que vous, sous-entendu les techniciens, êtes responsables ?
Parce qu'à l'époque, on n'a pas eu la bonne approche avec ce type de gamins. On avait une conception différente. Sur les dernières années, on formait "le joueur". Alors on n'a que ce qu'on mérite (sic). Moi, je ne suis pas d'accord avec ça. On ne forme pas "le joueur", mais on forme au jeu collectif. Et c'est à travers lui ensuite que se forme le joueur. Il ne faut pas sortir de la logique de notre activité qui est un jeu collectif. Le grand joueur, il joue pour les autres. Voilà pourquoi il aurait fallu insister avec ce type de gamins sur le jeu sans ballon offensif, les appels de balle, le mouvement pour les autres, puis le jeu défensif. Et ça, ça aurait fait d'autres joueurs… Le football, ce n'est pas qu'une partie de un contre un !

Tout ce que vous venez de dire recoupe les déclarations récentes de José Mourinho et Laurent Blanc au sujet de Karim Benzema.
Si je suis d'accord avec Blanc et Mourinho, c'est que je dois être un peu dans le vrai (rires)... Je ne peux pas accepter, même quand on a du talent, des joueurs qui ne jouent que par intermittence, que lorsqu'ils ont le ballon, ou que lorsque c'est facile. Je ne l'accepte pas. Pour moi, un joueur doué, ce n'est pas ça. Faire gagner l'équipe, ce n'est pas suffisant. Cristiano Ronaldo était comme ça au départ, et il a beaucoup progressé. Il faut avoir une sacrée force de caractère pour évoluer de la sorte. Les meilleurs joueurs du monde, il faut les citer en exemple ! Xavi, Messi, Rooney, Iniesta… Ce sont tous des joueurs qui jouent avec et pour les autres.

"Il faut rappeler que le football est un sport à maturité tardive."


Revenons à notre petit surdoué licencié en club amateur. Au niveau de l'entraînement maintenant, est-il intéressant selon vous de lui imposer des contraintes techniques supplémentaires sur des ateliers d'ordre technique ?
Moi, je suis plus pour que le joueur se forme à travers le jeu collectif. Or, dans des jeux, ça va être compliqué de lui mettre des contraintes particulières. Cela dit, pour faire progresser un individu, il faut quand-même que ce ne soit pas trop facile. On se situe dans ce qu'on appelle la zone proximale de développement. Donc oui, à l'entraînement, sur des ateliers, on peut aménager, adapter. Cela fait partie de la richesse pédagogique. On peut aussi mettre les meilleurs ensemble, voire surclasser un joueur parce qu'il s'ennuie un peu avec les autres…

Doit-on instaurer une relation particulière avec un surdoué ?
Oui et non. Il faut être à son écoute, d'accord. Mais d'un autre côté, une des nouvelles voies que l'on développe actuellement est de faire évoluer le rôle de l'éducateur. Ce dernier ne doit plus seulement faire passer des contenus football, mais créer aussi un relationnel, un climat d'apprentissage. Et ce, avec tout le monde, pas seulement avec les meilleurs. Le plus important pour l'éducateur, c'est d'être juste. Et on est juste quand on s'occupe de tout le monde.

En résumé, quelles erreurs ne doit-on pas commettre lorsqu'on encadre un jeune joueur au-dessus du lot ?
Un : être trop centré sur le foot et oublier que le joueur a besoin d'abord de s'approprier des valeurs et de construire son état d'esprit. Les éducateurs s'occupent trop du jeu, du foot, du joueur, pas assez de son éducation. Deux : conforter cette "petite star" dans ses comportements déviants, sans essayer de les influencer. Trois : ne pas sensibiliser la famille au fait qu'elle a un grand rôle à jouer, au même titre que l'éducateur. Quatre : ne pas faire l'effort d'obtenir une réflexion du joueur à l'entraînement. Pourquoi ? Parce que si on ne le sensibilise pas sur le jeu, l'effort à faire avec et pour les autres, on va conforter l'individu dans ses savoir-faire individuels.

Quelle conclusion peut-on faire à tout ça ?
Que tout rejoint l'éducation au sens global du terme. Le comportement à l'école en fait également partie. Si on a un gamin qui pense qu'il va réussir au foot et qui ne va donc rien faire en classe ou, pire, qui s'y comporte mal, il faut agir de suite. Certes, il n'y a pas besoin d'être bon en mathématiques pour devenir un grand joueur, le football est une intelligence contextuelle. Mais j'aurais tendance à croire que la manière dont se comporte l'enfant à l'école peut être transversale à sa façon d'appréhender son sport.

On peut aussi insister sur le fait que les qualités qui permettent à un joueur de dominer sa catégorie à dix ou douze ans, ne sont que la photographie du moment…
Exactement. Il y a trop d'exemples… Beaucoup de joueurs émergent plus tard. Il faut rappeler que le football est un sport à maturité tardive. À dix ans, on ne voit qu'une petite partie de l'individu et du joueur. Il y a tellement de ressources qui seront en interaction plus tard ! Cette petite partie de psychomotricité qui fait la différence en benjamin, sera ensuite complètement noyée dans la masse. Il est important de faire véhiculer aux parents et aux éducateurs ce genre de messages.

Propos recueillis par J.G. (extraits du magazine VESTIAIRES)

Erick Mombaerts digest
Né le 21 avril 1955 à Chantecoq
Parcours
Joueur : Montargis (1965-70), Nemours (1970-72), INF Vichy (1972-74), RC Lens (1975), Noeux les Mines (1975-76), Montluçon (1978-84).
Entraîneur : CTR Auvergne (1984-86), PSG, centre de formation (1986-87), PSG (1987-88), PSG, centre de formation (1988-89), Guingamp (1989-90), Cannes, adjoint (1990-92), Cannes (1992-94), centre de préformation de Castelmaurou (1994-99), Toulouse, centre de formation (1999-2001), Toulouse (2001-06), France U18 (2007-08), France Espoirs (depuis 2008).
Palmarès : champion de France D2 en 2003, finaliste de la Coupe Gambardella en 1989

Vendredi 26 Novembre 2010
Sébastien Duret