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ESPAGNE - La FIFA suspend Luis RUBIALES

Moins d'une semaine après son agression sexuelle sur Jenni Hermoso, le président de la fédération espagnole Luis Rubiales a été provisoirement suspendu par la FIFA. Le point.



L'attitude du Président de la fédération espagnole lors de la remise des récompenses est à l'origine des faits (photo DR)
L'attitude du Président de la fédération espagnole lors de la remise des récompenses est à l'origine des faits (photo DR)
« Choisissez les bons combats » avait déclaré aux joueuses le président de la FIFA Gianni Infantino lors de la cérémonie de clôture de la Coupe du monde, dans un discours dégoulinant de condescendance. Ironique, quand on sait que bon nombre de sélections ont connu des préparations mouvementées pour des problèmes très variés et sans toujours obtenir gain de cause. Énervant, alors que les femmes se battent depuis de nombreuses décennies, parfois pour pouvoir ne serait-ce que jouer. Et prophétique, alors que le président de la fédération espagnole, en roue libre après la victoire espagnole, faisait se lever contre lui des protestations unanimes dans le monde entier après avoir embrassé Jenni Hermoso sur le podium, en plus d'avoir eu un comportement plus que limite de façon plus générale suite à cette victoire historique.

Action et réactions

Alors que les joueuses de la Roja n'auraient dû avoir en tête que la célébration d'un premier titre mondial, alors que le succès que fut cette Coupe du monde à tous les niveaux aurait dû être mis au premier plan, les actions de Luis Rubiales ont pris la place sur le devant de la scène médiatique. A juste titre, malheureusement... et heureusement, car cela permettait de poser au premier plan médiatique des comportements trop souvent passés sous silence ou entretenus dans un contexte plus restreint.

Après avoir balayé les critiques suite à son geste, Rubiales publiait le lendemain une vidéo où il s'excusait non pas de son baiser, mais des conséquences de celui-ci, qu'il considérait comme naturel, entre deux amis. Il était attendu que le président donne sa démission lors d'une Assemblée Extraordinaire de la RFEF (fédération espagnole) vendredi 25 août, cinq jours après son agression sexuelle. Mais il prenait tout le monde à contre-pied, refusait l'idée de démissionner et le répétait à plusieurs reprises, demandant sous les applaudissements entre autres des sélectionneurs des équipes féminine et masculine s'ils pensaient vraiment qu'il allait démissionner pour un petit bisou, se posant en victime face au « faux féminisme ». Si son geste avait déjà fait le tour du monde et que les indignations avaient été nombreuses, ce refus de démissionner et ce discours très offensif allaient faire passer la protestation dans une nouvelle dimension, alors que la FIFA avait ouvert une enquête pour une potentielle violation des alinéas 1 et 2 de l'article 13 du Code disciplinaire de l'institution (mais pas l'UEFA, dont Rubiales est l'un des vice-présidents).

Levée de boucliers internationale

Hermoso a des soutiens de partout dans le monde (ici l'Atlético avant son match)
Hermoso a des soutiens de partout dans le monde (ici l'Atlético avant son match)
Ce sont d'abord les joueuses du monde entier qui ont apporté leur soutien de façon massive à Jenni Hermoso sur les réseaux sociaux, dans un mouvement spontané de colère accompagné des messages « se acabó » (c'est fini) et « contigo Jenni » (avec toi Jenni). Des clubs aux Etats-Unis, au Mexique où Hermoso évolue, en Suède, dont les joueuses ont porté des paroles de soutien, au communiqué offensif et radical de la sélection anglaise puis celui de la sélection allemande, la colère est le sentiment prédominant. Des joueurs espagnols ou jouant en Espagne ont peu à peu apporté leur soutien, l'entraîneur du FC Barcelone masculin Xavi a emboité le pas, des clubs ont publié des communiqués plus ou moins revendicatifs, des sponsors ont annoncé se retirer en l'état actuel (Iberia, Iberdrola).

Ce sont ensuite les joueuses championnes du monde, de façon formelle à travers un communiqué, qui ont exprimé leur mécontentement, démissionnant collectivement de la sélection sous la direction en place. Un communiqué également signé par une soixantaine d'autres joueuses espagnoles. Moins d'une semaine après son sacre mondial, la Roja n'a techniquement plus d'équipe. Dans un communiqué personnel, Jenni Hermoso démentait dans le même temps les propos de Rubiales, annonçant par la même occasion qu'elle était sous la pression permanente de la fédération pour venir en aide à son agresseur, et que ce comportement était dans la lignée de ce qu'elle et ses camarades de la sélection vivaient depuis de nombreuses années en équipe nationale, dont le sélectionneur Jorge Vilda est également controversé (voir plus bas).

Malgré l'interdiction d'ingérence politique prônée par la FIFA, c'est le Conseil Supérieur du Sport (Consejero Superior de Deporte), par la voix de son président Victor Frances, qui faisait un premier pas dans la bonne direction, annonçant la suspension de Rubiales tout en faisait appel au TAS (Tribunal arbitral du sport). La démission semblant écartée, c'est peut-être de ce côté qu'une résolution pouvait être trouvée.

Un problème plus global

Si Luis Rubiales est logiquement celui qui est dans l'œil du cyclone, son comparse Jorge Vilda en arrière-plan, cette histoire a permis de montrer au grand jour le visage de la fédération espagnole dans son ensemble. Après avoir ignoré les protestations des joueuses qui s'étaient exprimées contre leurs conditions en sélection plus tôt dans l'année, exigeant même de leur part de demander pardon, on apprenait qu'elle faisait pression sur Hermoso et son entourage pour apporter son soutien au président qui l'avait agressée.

Cependant, c'est dans un communiqué publié le 25 au soir (sans relais sur les réseaux sociaux) qu'elle se surpassait dans l'ignominie, celui-ci terminant par une analyse sur la base de photos commentées pour prouver que Jenni Hermoso était bien consentante. Une analyse qui prenait fin avec les mots « Las pruebas son concluyentes. El Sr. presidente no ha mentido. » (« les preuves sont concluantes. Le président n'a pas menti ») avant d'annoncer que la Fédération et son président démontreraient tous les mensonges, et qu'ils allaient engager des poursuites suite au communiqué Futpro des joueuses de la sélection. Si l'on pouvait espérer que la fédération et ses membres allaient prendre des mesures pour mettre fin à cette situation et assainir leurs rangs, les applaudissements et la standing ovation lors du discours de Rubiales ainsi que ce communiqué proposaient une réponse très offensive et presque inimaginable à l'indignation générale.

Le début de la fin ?

Le staff de Vilda ne peut cautionner et a démissionné
Le staff de Vilda ne peut cautionner et a démissionné
Luis Rubiales et la fédération espagnole ayant écarté toute idée de démission, la solution pour trouver une issue à la situation ne pouvait être qu'externe. Un jour après la volonté affichée du Conseil National du Sport espagnol de suspendre le joueur, la FIFA intervenait le samedi 26 août avec une surpension provisoire de 90 jours pendant laquelle Rubiales et la fédération n'avaient pas le droit de contacter Jenni Hermoso ou une personne de son entourage, en attendant la fin de l'enquête diligentée par l'instance internationale.

Cette mise à pied était suivie par la démission d'une partie des staffs des sélections espagnoles (11 signataires), qui dans un communiqué condamnait le comportement de Luis Rubiales, regrettant pour certaines d'avoir été mises au premier rang par la fédération pour montrer leur supposé support au président. Une étape de plus dans cette affaire qui faisait grand bruit et dont la sélection tout juste sacrée championne du monde n'avait désormais plus qu'un sélectionneur et quelques membres de staff.

Dans le même temps, la fédération espagnole publiait un communiqué en réponse à celui de Jenni Hermoso, réitérant qu'elle mentait et que des actions légales allaient être enclenchées. Malgré la suspension de son président, la fédération n'abdiquait pas et continuait de le soutenir, ce n'est donc pas de ce côté qu'il fallait attendre une réponse incisive et claire pour mettre fin à une situation explosive.

Jorge Vilda, le soutien de Luis Rubiales jusqu'à quand ?

Difficile de discuter de Luis Rubiales sans mentionner Jorge Vilda, les deux se soutenant mutuellement depuis de nombreuses années. Vilda avait appuyé la nomination de Rubiales à la tête de le fédération, l'a applaudi avant de faire une standing ovation après son discours où il annoncé son refus de démissionner et aurait tenté de persuader Hermoso de soutenir Rubiales, qui avait appuyé la nomination de Vilda à la tête de la sélection puis l'avait soutenu lorsque les problèmes internes* de la sélection avaient éclaté au grand jour avec l'envoi d'un mail revendicatif par 15 joueuses, dont la plupart n'étaient pas dans le groupe vainqueur de la Coupe du monde. Les critiques émises par de nombreuses joueuses de la sélection envers le sélectionneur nommé en 2015 n'étaient pas nouvelles, mais en se mettant en retrait de la sélection et en les rendant officielles, « les 15 » soutenues par les leaders Alexia Putellas ou Irene Paredes, ont tenté de faire bouger les choses. En vain, car la fédération a fait la sourde oreille, Jorge Vilda a refusé d'aborder la question, et les joueuses concernées n'ont plus été appelées, y compris Paredes qui n'avait pas envoyé de mail, pendant plusieurs mois. Seules trois joueuses(-clés) parmi les 15 ont fait leur retour pour la Coupe du monde. Et Vilda se refuse depuis à faire porter le brassard à une joueuse barcelonaise malgré la légitimité de plusieurs d'entre elles, le conflit ayant parfois pris une tournure manichéenne Barcelone contre Real Madrid qui n'avait pas lieu d'être.

Cependant, dans la tornade médiatique actuelle, Jorge Vilda a affiché un discours plus distant du Président ce samedi soir : « Je regrette que la victoire du football féminin ait été ternie par le comportement inapproprié que notre plus haut dirigeant jusqu’alors, Luis Rubiales, a montré et a lui-même reconnu », a dit pour la première fois le sélectionneur dans un communiqué remis à l’agence EFE et repris par plusieurs médias espagnols.

* Les critiques émises touchaient à différents aspects de leurs séjours en équipe nationale, du manque d'intimité aux séances d'entraînement peu intenses, du manque de suivi médical et nutritionnel, du burn out généré par le fait de s'appuyer sur un nombre restreint de joueuses, même blessées, etc. Toutes les joueuses ont mentionné une situation en équipe nationale qui avait des conséquences négatives aussi bien sur leur santé physique que mentale.


Dimanche 27 Août 2023
Charlotte Vincelot

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