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Didier ROUSTAN : "L'argent, les médias... le foot pro ne fait pas ressortir le meilleur côté de l'homme"

Depuis sept ans, Didier Roustan anime Foot Citoyen qui édite un journal et milite sur le terrain pour redonner au football amateur ses lettres de noblesse, celles qui ont depuis longtemps disparu du foot professionnel et qui renvoient à la dimension pédagogique de notre sport. Après avoir touché à tout dans l'univers du journalisme télé, y avoir apporté une fraîcheur et une compétence unanimement reconnues, l'ancien libéro de l'AS Cannes qui avait un peu trop tendance à porter le ballon (!) jette un regard quelque peu désabusé sur ses contemporains. Mais reste plus que jamais mobilisé pour ne pas abandonner le football aux marchands du temple. Certainement parce qu'il se souvient que c'est grâce à la petite balle ronde que tout ça lui est arrivé (par Johan Cruyff)



"J'étais un bon joueur mais un peu tête brûlée et difficile à gérer..."

A 50 ans, Roustan a gardé un regard d'enfant sur ce football qui l'a toujours fait rêver et qu'il s'emploie à aider à redevenir un vrai moyen d'éducation.
A 50 ans, Roustan a gardé un regard d'enfant sur ce football qui l'a toujours fait rêver et qu'il s'emploie à aider à redevenir un vrai moyen d'éducation.
Didier, avant de devenir le journaliste télé que nous connaissons, on croit savoir que vous avez longtemps joué au foot du côté de Cannes....
Mon oncle était pro à Cannes, mon père, Marseillais, jouait aussi. Ma mère, Antillaise, aimait ça également donc je ne pouvais y échapper. En plus, à Cannes, j'habitais juste à côté du stade des Esperides. Je suis né en Afrique mais je suis arrivé en France à l'âge de trois ans et j'ai effectivement joué à l'AS Cannes, dans les meilleures équipes du club, jusqu'à 18 ans. J'ai notamment de bons souvenirs en cadets où nous avions été champions du Sud Est tout en parvenant en demi-finale du championnat de France ne perdant que 0-1 face au FC Nantes d'un certain Thierry Tusseau.

Aviez-vous alors la volonté d'effectuer une carrière professionnelle ?
J'avais 16 ans quand l'entraîneur de l'équipe une de Cannes, qui jouait en D2 à l'époque, Robert Domergue m'a demandé de venir m'entraîner avec les pros. Mais franchement, ça me faisait chier plus qu'autre chose car ce qui m'intéressait surtout était de jouer avec mes potes. Et je suis toujours resté dans cet esprit. Même sur le terrain, je jouais libéro mais comme j'étais bon dribbleur, malgré les consignes du coach, j'aimais bien monter et prendre des risques. J'étais un peu tête brûlée et difficile à gérer. Aussi, je n'ai pas hésité à dire à M. Domergue que je préférais jouer avec mes copains.

Ne l'avez-vous jamais regretté ?
J'étais un bon joueur mais comme il en existe des centaines. J'ai revu M. Domergue à l'occasion du centenaire de l'AS Cannes. Il m'a reconnu et m'a dit : "Ah, Didier, quel gâchis !" J'avais des qualités et j'évoluais, au début des années 70, au même niveau que des joueurs comme Zambelli, N'Gom ou Genghini qui ont ensuite été pros, mais de là à le devenir moi-même. Je pense que je n'avais pas le mental pour et c'est certainement pour ça que je n'éprouve pas de regrets.

Pourquoi avez-vous arrêté le foot à 18 ans ?
Parce que ça devenait trop sérieux. Après le bac, je suis monté à Paris car je voulais vite entrer dans la vie active. Au début, mon truc, c'était de devenir pêcheur ! Je voulais bosser. Mais ma mère étant journaliste, j'étais au contact de tous ses amis qui me disaient que j'aurais des aptitudes pour les métiers de la presse en général. Il faut dire que je lisais tous les jours Marca, la Gazzetta... A tel point que lorsque je suis arrivé sur TF1, j'en savais davantage sur le foot étranger que tous les journalistes présents qui attendaient que St-Etienne joue face à Liverpool pour découvrir les joueurs anglais. Moi, j'avais ça dans le sang parce que j'étais un vrai passionné de foot.

"La télé n'a jamais été vitale pour moi donc je n'ai jamais eu peur d'exister sans elle. Cela a été ma force."

Comment avez-vous atterri sur TF1 ?
Par l'intermédiaire de ma mère qui m'a trouvé un stage. Georges de Caunes était le responsable des sports et je me suis tellement bien intégré dans leur équipe qu'il m'a proposé de rester deux ans de plus. En fait, ça répondait à une nouvelle demande car TF1 venait de signer un contrat avec la FFF et la LFP pour une nouvelle émission 100% foot, Téléfoot. Ils avaient donc besoin de gens de mon profil. Je suis finalement resté 13 ans et demi sur cette chaîne.

Pourquoi ne pas y être resté ?
Comme chaque fois que je suis parti de quelque part, de TF1, de France Télévision ou de Canal + et plus récemment de L'Equipe TV, je l'ai fait de moi-même. Un luxe car sur TF1 j'étais le petit roi de la chaîne. Pourtant, je n'ai pas hésité à aller sur Canal+, qui faisait beaucoup moins d'audience, rejoindre Biétry et Lescure qui me faisaient du pied depuis longtemps. C'est l'arrivée de Bouygues et la privatisation de TF1 qui m'a fait partir en 1987 car je n'ai pas aimé le comportement des nouveaux dirigeants à ce moment là. Cela ne me concernait pas directement mais je n'ai pas supporté ces injustices que je voyais. Je ne pouvais pas cautionner. Beaucoup ont cru que je partais à cause de Thierry Rolland mais c'est faux.
Didier ROUSTAN : "L'argent, les médias... le foot pro ne fait pas ressortir le meilleur côté de l'homme"

C'est votre façon à vous de vous sentir libre ?
Peut-être. Je crois surtout que la télé n'a jamais été vitale pour moi donc je n'ai jamais eu peur d'exister sans elle. Cela a été ma force. Et pendant les trois années que j'ai consacrées au syndicat mondial des joueurs, la télé ne m'a jamais manqué.

Vous y êtes tout de même revenu !
En fait, l'aventure du syndicat m'avait vraiment lessivé. J'étais fatigué et je n'avais qu'une envie, revenir sur Cannes et repartir à zéro sur un autre job plus tranquille. Mais c'est Vincent Régnier, sur L'Equipe TV, qui a fait le forcing pour m'avoir et quia fini par me convaincre. Au début j'y allais sans aucun engagement et petit à petit je me suis pris au jeu don j'ai signé pour un an... pour y rester cinq ans. Et là encore, je suis parti tout seul comme un grand pour des raisons idéologiques. Ils sabraient les mecs et ça ne me plaisait pas.

On a zappé le passage sur Canal+, LA chaîne du foot en France. Pourquoi ça n'a pas marché ?
En arrivant sur Canal, j'avais envie de sortir du train train dans lequel j'étais sur TF1 avec l'actualité des matchs, du championnat, de la coupe d'Europe, l'arrivée de Tapie dans le foot et une atmosphère qui ne me plaisait plus. Le rythme mensuel de l'émission que j'avais me plaisait bien et me permettait de faire des documentaires intéressants à travers le monde. Du hockey au Canada, du basket aux Etats Unis, trois semaines en Colombie... tout ça m'a fait grandir.

Et qu'est-ce qui ne vous a pas plu sur Canal pour que vous partiez aussi vite ?
(rires) C'était cette certitude qu'ils avaient tous d'être meilleurs que les autres ! Or, pour avoir fait beaucoup de chaînes, je savais que ce n'était pas vrai. Canal avait surtout beaucoup plus d'argent que les autres. Mais au bout d'un moment, ça m'a gonflé. J'étouffais sur Canal où je n'avais pas la possibilité, comme sur TF1, de côtoyer les autres spécialités. Canal, c'était le foot et le cinéma, point. Moi, j'ai toujours apprécié de me balader dans d'autres domaines, de discuter avec des journalistes politiques ou économiques... Ce côté nombriliste m'a dérangé. Et comme au même moment Hervé Bourges m'a appelé pour rejoindre France Télévision, j'ai foncé.

Vous y êtes resté trois ans, avec une Coupe du monde au milieu, celle de 1994, pas forcément le plus mémorable !
Je l'ai commenté avec Cantona et je m'occupais du foot sur Stade 2 tout en créant en parallèle le syndicat mondial des joueurs avec Maradona. Changer de chaîne, c'était encore un énorme risque. En plus, je débarquais dans une rédaction qui ne voyait pas forcément mon arrivée d'un bon oeil. Le fait d'être un mec plutôt apprécié du public a suscité davantage de jalousies que lorsque Pierre Sled est arrivé ! Mais c'était un peu pareil sur Canal, chacun veut préserver son petit jardin, son petit morceau de gruyère et ses primes. Et plus tu es quelqu'un de médiocre, plus tu as peur de perdre tout ça. Et finalement tu t'aperçois que les gens passent plus de temps à essayer de préserver tout ça qu'à travailler !

"Le syndicat mondial des joueurs... si un jour j'en ai la force, j'écrirais toute l'histoire !"

On ne vous sent pas forcément à l'aise ou en tout cas dans votre élément dans ce microcosme journalistique, on se trompe ?
Je suis dedans sans y être. Je regarde assez peu les émissions de sport à la télé. Mon cerveau est en mode veille lorsque je regarde les matchs et ne se met vraiment en marche que lorsque des gens comme Denoueix par exemple prennent la parole. En même temps, je ne crache pas dans la soupe car c'est mon monde.

Que pensez-vous de cette mode des consultants qui envahit les écrans comme s'il suffisait d'avoir été champion du monde pour avoir des choses intéressantes à raconter ?
J'ai toujours été étonné qu'un journaliste qui est censé maîtriser son sujet et savoir de quoi il parle ait besoin d'un consultant. Aujourd'hui, on en fait trop et on achète davantage des noms que des compétences. On en arrive à un grand formatage surtout sur Canal + où on a l'impression qu'ils se ressemblent tous. En même temps, ça permet aux consultants de s'affirmer plus facilement. J'ai eu la chance de commencer ce métier à une époque où on était plus libre d'affirmer ses différences. Et j'ai imposé mon style car je n'ai jamais eu peur de partir ou d'être viré parce que je ne correspondait pas au profil recherché. Aujourd'hui, à l'image de la société, il faut que ça brille. Les compétences sont moins importantes que les apparences.

Emmanuel Petit, Sébastien Perez et Manu Amoros répondent souvent à l'appel de Didier Roustan dans le cadre de Foot Citoyen.
Emmanuel Petit, Sébastien Perez et Manu Amoros répondent souvent à l'appel de Didier Roustan dans le cadre de Foot Citoyen.
Avec le recul quel constat faites-vous de votre tentative de créer un syndicat mondial des joueurs ? Parce qu'il n'existe plus et que son existence fut brève, est-ce un échec ?
A l'origine, nous avons voulu créer ce syndicat, avec Cantona et Maradona, pour que les joueurs aient leur mot à dire. Mais dès le départ on s'est vite aperçu qu'il s'agissait d'un combat entre le pot de fer et le pot de terre. Notre initiative n'a pas pour autant été inutile car elle a permis à Sepp Blatter de comprendre qu'il s'agissait du sens de l'histoire. Même s'il s'est foutu de notre gueule en s'appropriant le truc et en faisant croire que l'idée venait de lui, le fait est qu'aujourd'hui les syndicats nationaux de joueurs sont reconnus par la FIFA. C'est ainsi qu'ils nous ont tous "squizzés". Disons que d'autres que nous ont tiré les marrons du feu. Si un jour j'en ai la force, j'écrirais toute l'histoire...

Et Foot Citoyen, l'idée est venue comment ?
J'ai passé une période où j'étais souvent sur Marseille. J'ai sympathisé avec pas mal de dirigeants de clubs amateurs du coin qui se souvenaient des matchs qu'on faisait quand on était Minot. Et j'ai vu l'évolution de ce football qui m'avait fait grandir, les conséquences d'un environnement malsain sur l'éducation des gamins, et finalement au bout du compte la mauvaise influence du foot. Ce sont des recruteurs de jeunes, des parents qui rêvent, des entraîneurs qui ne se donnent plus le droit de perdre... Dans la cour de l'école tout le monde veut gagner mais sans jamais considérer que perdre était la fin du monde. J'ai ressenti beaucoup de tension autour des stades et face à ce constat, en souvenir de tout ce que le foot avait apporté au gamin instable que j'étais, j'ai voulu essayer de donner à d'autres les moyens d'utiliser le foot comme un vrai levier éducatif.

Sans le foot, que seriez-vous devenu ?
Je n'étais pas un gosse facile. Mes parents étant souvent absents, j'ai longtemps été à la frontière, à la limite... C'est le foot qui m'a offert les moyens d'avoir confiance en moi, les éducateurs que j'ai pu avoir, les discours qu'ils m'ont tenu. Et le fait de jouer avec des gosses du même âge qui étaient plus équilibrés m'a aidé à mettre la rage que j'avais en moi, proprement, au service de l'équipe. Et ça m'a aidé dans la vie ensuite évidemment ! Ces valeurs là me sont restées.

Concrètement, sept ans après sa création, Foot Citoyen, c'est quoi exactement pour vous ?
C'est six salariés, dont je ne fais pas partie puisque je suis entièrement bénévole, et 25 000 abonnés. Personnellement, ça représente entre 35 et 60 heures par semaine à se bouger. Souvent, quand je suis fatigué, je me dis : "A quoi bon ?" Mais quand on y est, on y est, il faut avancer. Je perds de l'argent dans cette histoire mais je n'ai jamais fait ça pour en gagner, ni pour recevoir une médaille, mais uniquement parce que je le sens.

"A Foot Citoyen, nous sommes davantage aidés et soutenus par le milieu pro que par ceux qui sont censés représenter le foot amateur."

N'empêche, n'est-ce pas plus valorisant et plus constructif de parler du foot amateur, si peu médiatisé, comme nous pouvons le faire sur les sites Footengo, que de rabâcher la même chose à longueur de journées sur un foot professionnel qui lui est hyper médiatisé ?
Vous savez, depuis le temps, malheureusement, je n'attends plus grand chose des gens. Je fais de belles rencontres à travers Foot Citoyen mais sans illusion... Je ne recherche en tout cas de reconnaissance en m'investissant de la sorte.

Et depuis sept ans que vous êtes sur le terrain, à travers les publications du journal, sentez-vous que les choses bougent ?
Il est très difficile de quantifier ça mais à partir du moment où tu as été au contact de milliers de gens, tu te dis que ce que tu racontes en a forcément fait réfléchir certains. De toutes façons, on sait que nous ne sauverons pas le monde.

Quels contact avez-vous avec le monde professionnel ? Est-il conscient du rôle qu'il a à jouer auprès des plus jeunes et de la base ?
A mon petit niveau, depuis 34 ans que je suis dans ce milieu, si j'ai pu à travers mes commentaires et mes rencontres sensibiliser les pros au sort des plus humbles et des plus jeunes, et donc changer quelques comportements, c'est déjà pas mal. Pour le reste, il est difficile d'intéresser les pros car ils ont déjà l'impression d'en faire beaucoup en donnant pas mal d'argent. La relation foot pro-foot amateur est très compliquée. Et les gens qui nous ont le plus aidés, à Foot Citoyen, ne sont pas ceux que l'on pourrait croire. La FFF par exemple n'a jamais rien fait pour nous au contraire de personnages comme Louis Nicollin à Montpellier ou Arsène Wenger à Arsenal. A ce niveau, le milieu pro est moins critiquable que pourrait le laisser croire sa caricature.

Quels rapports avez-vous avec la FFF ?
Des rapports pauvres, à la hauteur de leur dimension humaine. Ces gens là ont le sentiment que le football leur appartient. Et quoi que vos fassiez, si ça ne vient pas d'eux, ça ne les intéresse pas. Ils veulent récupérer le truc tout le temps. Franchement, si j'étais à leur place, en voyant une initiative comme Foot Citoyen, dirigée par quelqu'un comme moi, médiatique et près à s'investir sans compter, je déroulerais le tapis rouge ! Or, eux ne rêvent que d'une chose, qu'on s'arrête car ils sont jaloux. Ça ne vole pas haut. Et je vous confirme donc qu'à notre niveau, nous sommes davantage aidés et soutenus par le milieu pro que par ceux qui sont censés représenter le foot amateur.

Et la perspective de vous investir dans un club un jour, ne vous a-t-elle jamais effleuré ?
Non, je préfère garder mon indépendance. L'opportunité m'a été donnée un jour d'intégrer un club très prestigieux. Mais non... je ne sentais pas le truc. De toute façon, à 50 ans, si je change de trajectoire, ce ne sera pas pour rester dans le milieu du foot où il y a trop d'argent, trop de médias et forcément pas le meilleur côté de l'homme qui ressort.

propos recueillis par Johan Cruyff

Didier ROUSTAN : "L'argent, les médias... le foot pro ne fait pas ressortir le meilleur côté de l'homme"
DIDIER ROUSTAN
Né le 20 octobre 1957 à Brazzaville (République du Congo)
Parcours
Joueur : AS Cannes (1964-1973)
Journaliste : TF1 (1976-89, Télé Foot), Canal+ (1989-92, Mag Max), France Télévision (1992-95, Terre de foot), L'Equipe TV (1999-2004, Enfin du foot), TV5 Monde (2004-07), Europe 1 (2008-09, Roustan FC), L'Equipe TV et L'Equipe.fr (depuis 2008, chroniqueur)
Dirigeant : AIFP, Association Internationale des Footballeurs Professionnels (1995-98, secrétaire général), Foot Citoyen (depuis 2003)
Pour consulter le site de Foot Citoyen

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Vendredi 31 Décembre 2010
Sébastien Duret

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