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Bleues - Amandine HENRY : "Si ça peut aider l’Équipe de France, je le fais"

Non sélectionnée, lors du précédent rassemblement, Amandine Henry (92 sélections), la capitaine de l’Équipe de France, s'est exprimée posément sur les problèmes relationnels de Corinne Diacre en sélection, interviewée par Raphaël Domenach, lors de l'émission Canal Football Club.



capture écran Canal+
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Depuis ta non-sélection, beaucoup de personnes se sont exprimées mais pas toi, pourquoi parler aujourd'hui ?
C'est toujours bien de réfléchir et de ne pas agir à chaud. J'étais un peu choquée aussi. Il fallait que je me remette en questions personnellement, que j'essaye de comprendre, etc. Dans un deuxième temps, je me suis dit, il y a une qualif' pour l'Euro, ce n'est pas le timing. Amandine ne soit pas égoïste, le groupe compte encore sur toi, tu es la capitaine, montre l'exemple. Il faut que le groupe reste concentré pour l'Euro. Mets tes états d'âme de côté et ce qui est le plus important, c'est l’Équipe de France. Il y a beaucoup de problèmes, on ne va pas se le cacher. Il y a énormément de problèmes, et je pense qu'en tant que capitaine, c'est bien d'être là avec le brassard mais il faut parler, il faut mettre le poing sur la table. Il faut le faire aussi et c'est pour cela que je veux le faire aujourd'hui.

"L'appel a duré 14, 15 secondes. Je m'en souviendrai toute ma vie"

Un choix sportif a été évoqué pour justifier ta non sélection ?
Quand elle m'a appelée, c'est la coach fait des choix ce qui est normal. L'appel a duré 14, 15 secondes. Je m'en rappellerai toute ma vie. Ce coup de fil-là, sur le coup j'étais choquée et en fait je me suis dis "voilà Amandine, tu sais que la liste sort demain et tu n'y seras pas par rapport à tes performances actuelles". Deux secondes, je reste sans voix, je suis choquée, je ne m'attends pas à ça et je lui dis "bah OK". Bons matchs. Au revoir. C'est tout.
Si c'est un choix sportif, t'essaye de remobiliser ta joueuse, t'inquiète pas, ça va aller, tu vas revenir à ton meilleur niveau. Mais là franchement, cette discussion, elle restera gravée dans mon cœur parce qu'elle m'a fait mal. J'ai été vraiment touchée. Mais en plus sportivement je me sentais super bien. Je me sens super bien. Je me suis remise en question, j'ai été voir mes coachs. "Vous pensez que je ne suis pas bien ?" "Mais non Amandine, tu as été blessée, tu as fait trois-quatre matchs. Non" Donc là, tu te dis "Il y a un souci". J'aurai pu accepter d'être remplaçante, parce que c'est la coach, elle fait ses choix, ça c'est sûr. Mais je pense que c'est au delà du sportif.

"J'avais envie de vivre cette Coupe du Monde et au final, cela a été un chaos total"

Que s'est-il passé ?
Je pense que cela s'est passé, la semaine où le Président Le Graët est venu à Lyon nous remettre une médaille parce que l'on avait remporté la Ligue des Champions. Cela faisait un moment que tous les filles que ce soit de Lyon ou d'autres clubs, j'avais des retours assez pesants et négatifs. "Amandine, ce n'est plus possible". Il faut que l'on fasse quelque chose. La venue du Président, c'était l'aubaine pour nous. On s'est dit, c'est le moment ou jamais les filles. Et on veut parler entre quatre yeux et de se dire en toute franchise les choses qui n'allaient pas. Et je pense que la coach en a eu écho. Que le Président lui a passé un coup de fil après, ce qu'elle a mal digéré, mal perçu. Je pense que le problème vient de là.

Tu penses que tu as été sanctionnée en réponse à l'échange avec le Président de la FFF ?
Oui. Parce que ce n'est pas la première fois. Après la Coupe du Monde, la coach a voulu faire des entretiens individuels, ce qui est normal. Et à mon entretien individuel, je lui avais dit : "Depuis que j'ai des crampons, je veux être en Équipe de France, je veux jouer une Coupe du Monde. En plus dans ton pays, c'est mon rêve absolu. Et je ne peux pas dire que je l'ai vécue à 100% au niveau épanouissement. Sportivement, tu t'arrêtes en quart. C'est dans ton pays, tu dois faire mieux que ça. Humainement, des filles pleuraient dans leur chambre. Moi, personnellement, je pleurais dans ma chambre parce que j'avais envie de vivre cette Coupe du Monde et au final, cela a été un chaos total.

"Un message vraiment très fort qu'elle a envoyé au groupe"

Qu'est-ce qui a créé ce K.O. total ?
C'était l'atmosphère, le management, l'ambiance générale qu'il y avait. La confiance, c'est la base de toute relation et encore plus dans le sport. Si demain, on te dit "OK, tente mais si tu te loupes attention !" "Est-ce que je prends mes responsabilités, est-ce que je reste en retrait ?" Cela se traduit sur le terrain. Tu te dis, à tout moment, je peux partir, alors tu te tais. Ce n'est peut-être pas beau à dire mais quand la sélection approche et que tu vois ton nom sur la liste, tu as deux sentiments qui te partage : la joie et la crainte.

Il y a ce sentiment que ta non-sélection est un révélateur d'un mal profond ?
Quand j'ai vu tout le monde réagir comment ça, je me suis dit "ouah, c'est fort". Ce qu'elle a fait est un message vraiment très fort qu'elle a envoyé au groupe.

"Il y a certaines filles qui n'osent pas parler, il y a de la crainte"

As-tu senti une unanimité des filles derrière toi, ou c'est les Lyonnaises... ?
Non, je l'ai entendu beaucoup fois : les Lyonnaises contre l’Équipe de France, contre la coach. Mais il n'y a pas de tout ça. Je sais qu'il y a certaines filles qui n'osent pas parler, il y a de la crainte. Forcément. Et elles disent, vous les Lyonnaises, vous avez tout gagné, vous êtes légitimes. Et à un moment donné, tu te dis non c'est toutes ensembles. Et à la fois, je les comprends. Il y a des jeunes, elles n'osent pas parler. Elles passent à travers toi. J'ai 31 ans, je suis capitaine. Si je ne parle pas, qui va parler ? A un moment donné, tu es obligée d'être porte-parole. Ce n'est pas que moi. S'il n'y avait que mon ressenti, moi Amandine, ce n'est pas grave. Tu prends sur toi si tu n'es pas contente. Là, c'est le ressenti de la majorité de l'équipe.

La relation de confiance est rompue entre les joueuses et Corinne Diacre ? Que faire de plus ?
Malheureusement, oui. On aurait peut-être dû essayer de parler plus à la coach malgré que l'on ait essayé. D'un côté, je me dis que l'on a essayé quand même. Peut-être pas assez puisque je n'ai pas réussi. Oui, je me remets en question. Je me dis que tu n'as pas tout fait parce que tu n'a pas gagné. Mais là, en quelques années, on a un Euro, on a un Mondial, des JO en France. Ça, il ne faut pas laisser passer. C'est maintenant qu'il faut régler le problème. Ce n'est pas dans trois ans, c'est maintenant.

"Je sais que je prends un risque mais si je ne le fais pas moi qui va le faire ? "

Comment régler la situation ?
Je pense qu'il faut vraiment tout mettre à plat, vraiment tout le monde. Entre quatre yeux, on se dit franchement les choses. C'est ce que l'on fait dans le sport, en règle général quand on veut avancer tous ensemble. J'aimerais que l'on se réunisse tous, autour d'une table. Président, staff, toutes les joueuses, que l'on mette tout à plat et que l'on aille gagner ce titre. Que l'on parle foot, terrain, objectifs, ambitions.

Imagines-tu ne jamais revêtir le maillot de l’Équipe suite au fait que tu tires la sonnette d'alarme ?
Pfff... Je sais que je prends un risque mais si je ne le fais pas moi qui va le faire ? Je ne pourrais pas me regarder dans un miroir. La France se doit de gagner un titre surtout avec les qualités que l'on a. Comment tu veux ne pas gagner quelque chose, te dire on va participer ! Non, on se doit de gagner quelque chose avec cette Équipe de France. C'est une génération en or, il faut aller au bout. Le danger, c'est de stagner, de voir les autres devant nous avec la Coupe, de regarder et de pleurer. J'en ai marre de ça. Tu restes là, tu fais l'autruche, peut-être que ça me met en danger, mais si ça peut aider l’Équipe de France, je le fais.


Dimanche 15 Novembre 2020
Sebastien Duret


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